La crise de conteneurs freine la reprise économique mondiale


Par Geneviève Cournoyer-Scalise 13 avril 2021

Il a fallu plusieurs décennies pour bâtir des chaines d’approvisionnement efficaces aux quatre coins du globe et à peine quelques mois pour désynchroniser l’ensemble de l’industrie du transport et de la logistique avec l’avènement de la fameuse crise de conteneurs. Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette pénurie ? Quels sont les effets de cette crise sur le commerce international et la reprise économique mondiale ?

L’origine de la crise

Avec l’arrivée de la Covid-19, les gouvernements du monde entier ont dû réagir pour freiner la propagation du virus, forçant ainsi la mise à l’arrêt de plusieurs secteurs d’activités économiques et commerciales. Des mesures sanitaires sont déployées en urgence à différents moments dépendamment de la gravité de la situation épidémiologique sur un territoire précis, mettant en péril la cohésion sur le grand échiquier du commerce international.

conteneurs logistique

Les conteneurs deviennent en quelque sorte les otages de cette crise sanitaire. Entre les restrictions mises de l’avant pour contrer la pandémie et la propagation, la main-d’œuvre est rapidement insuffisante pour répondre à la demande et assurer une homogénéité des opérations portuaires à l’échelle mondiale. Coincés, parfois immobilisés pendant des jours, des semaines, voire des mois avant de reprendre le large, les conteneurs se retrouvent en mauvaise quantité, empilés au mauvais endroit, au mauvais moment. Autre facteur de la congestion : « les conteneurs qui transportaient des millions de masques vers des pays d’Afrique et d’Amérique du Sud au début de la pandémie y stagnent toujours, vides et non ramassés, car les transporteurs maritimes ont concentré leurs navires sur leurs routes les plus populaires – celles reliant l’Amérique du Nord et l’Europe à l’Asie », rapporte le New York Times dans un article publié au début du mois de mars 2021. 1

Il n’en fallait pas plus pour creuser un décalage fatal entre la ligne du temps et la disponibilité en matière d’équipement conteneurisé pour perturber le trafic maritime, générer une hausse du coût du transport de fret et créer des délais d’acheminent. Pour les entrepreneurs dépendants de l’import et de l’export pour maintenir à flot leur production, la crise des conteneurs survient à un bien mauvais moment. Alors que certains d’entre eux ont peine à reprendre leurs activités à plein régime, d’autres tentent tant bien que mal à trouver une certaine stabilité entre capacité de production et pouvoir d’acheminement, une réalité qui freine la reprise économique.

Le manque de conteneurs force une baisse de production

La crise des conteneurs s’est propagée quasi aussi rapidement que le virus à l’échelle de la planète. Au Canada, elle affecte particulièrement nos agriculteurs par la nature périssable de leurs produits. En entrevue avec la revue les affaires, Alain Létourneau, PDG de Prograin à Saint-Césaire, explique comment cette crise nuit à ses activités commerciales, lui qui produit et exporte des produits de l’agriculture vers l’Asie et l’Europe. Ses besoins en conteneur s’élèvent en moyenne entre 600 et 800 par mois pour assurer la livraison à ses clients. « Or, en ce moment, nous avons seulement accès à 80 % de cette capacité, ce qui représente environ 480 à 640 conteneurs par mois », affirme M. Létourneau. Forcé de réduire sa production, il ajoute que « l’usine de semence de Prograin fonctionne qu’à 85 % de sa capacité ». 2 Même si la demande est au rendez-vous, produire davantage se résulterait en perte pour la société Prograin vu son incapacité à expédier ses commandes vers ses clients localisés à l’étranger. Lorsqu’une entreprise doit revoir ses objectifs de production par manque d’options de transport, la main-d’œuvre en paye malheureusement le prix. Une faible production = une diminution de la main-d’œuvre = moins d’emploi disponible sur le marché = une augmentation du taux de chômage. Alors, imaginez l’impact à l’échelle d’une région, du pays ou de la planète… Cette nouvelle dualité entre pouvoir de production et pouvoir d’exportation nuit évidemment à la reprise économique mondiale.

La flambée des tarifs du transport maritime

transport conteneurs

Si la pénurie de conteneurs affecte la production chez les exportateurs, elle affecte également la chaine d’approvisionnement des importateurs qui doivent payer plus cher pour le transport de matières premières nécessaires à leur production de biens de consommation. La rareté et le nombre limité de conteneurs disponibles occasionnent une flambée du coût du transport maritime. Le coût d’expédition d’un conteneur de marchandises a augmenté de 80 % depuis début novembre 2020 et il a presque triplé au cours de la dernière année, selon le Freightos Baltic Index (FBX). Les fabricants de conteneurs sont probablement les seuls à se réjouir en ce moment puisque la facture pour un conteneur neuf a presque doublé depuis le début de la crise. Si vous croyez que la location de conteneurs est une option envisageable, sachez que les tarifs de location ont également augmenté d’environ 50 % par rapport à la norme. 3 Avec une hausse du prix de transport par unité, les importateurs devront inévitablement augmenter le prix de leur produit sur les étagères s’ils veulent maintenir une stabilité par rapport à leur marge de profit et assurer la viabilité de leur entreprise encore ébranlée par les effets de la pandémie.

Les conteneurs vides prennent de la valeur

Alors que les retards et que les conteneurs s’accumulent dans les plus grands ports du monde entier, dénicher un conteneur pour sécuriser son expédition est une tâche de plus en plus ardue. La crise a atteint un point tel que même un conteneur vide a gagné en valeur. Désormais, payer pour rapatrier des conteneurs vides est devenue une pratique courante.

En entrevue avec le média spécialisé BNN Bloomberg, Chuck Penner, fondateur et président de LeftField Commodity Research, affirme que « compte tenu de la forte demande en conteneurs pour assurer le mouvement de biens de consommation en provenance de la Chine, ils [les exportateurs chinois] ne veulent plus attendre que ces conteneurs soient chargés de céréales ou de récoltes pour être retournés en Asie. Il est donc logique financièrement pour eux de renvoyer les conteneurs vides et de les destiner à une nouvelle route de distribution. » 4 Cette situation est préoccupante, puisque cette pratique est déjà observée depuis un certain temps au Port de Vancouver limitant ainsi le pouvoir d’exportation canadien. Même son de cloche du côté des États-Unis, où les transporteurs maritimes déchargent en Californie puis remettent immédiatement les conteneurs vides sur les navires, sans plus attendre. La Chine fut l’une des premières économies à reprendre ses activités dans ses chaines de production depuis l’arrivée de la pandémie, relançant ainsi ses opérations commerciales sur tous les fronts. Mais en rapatriant ainsi des conteneurs vides, qu’en est-il de la relance pour les autres régions du monde. Ainsi l’effet domino se poursuit en Amérique du Nord où la reprise économique est fragile et encore timide.

Malheureusement la crise n’est pas sur le point de se résorber. En ce sens, M Peter G. Hall, Vice-président et économiste en chef à Exportation et développement Canada (EDC), soutient que « les marchés sont généralement le mécanisme le plus efficace pour dénouer la crise entourant la pénurie de conteneurs et pour aplanir les obstacles qui entravent le redémarrage de l’économie mondiale dans un horizon à court terme. 5 En fait, tant que la pandémie en cours continuera à ébranler les activités commerciales, la croissance sera déséquilibrée et les chaines d’approvisionnement perturbées. Il faudra donc encore quelque temps pour que toutes les économies se synchronisent à nouveau et que le commerce international retrouve son erre d’aller.

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